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JE VOUS ÉCRIS D'ITALIE

 

Le journal le Provençal (devenu aujourd'hui la Provence depuis sa fusion avec le Méridional) avait organisé avec l'institut Dante un concours littéraire intitulé : "je vous écris d'Italie". Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion. J'ai eu le troisième prix. Grrrrr.

PORTRAIT A L'ITALIENNE

Dix-sept. Je les ai comptés cent fois.
Dix-sept. Pas un de plus pas un de moins.
Dix-sept.
Ils sont dix-sept cyprès, haut perchés sur la crête de cette colline toscane.

Alors le voyageur s'arrête, s'asseoit et contemple. Même s'il ne fait pas le détour par Sienne et Florence, il peut à présent s'en retourner et dire : "je connais la Toscane".

Leur alignement, leur arrangement, la distance qui les sépare l'un de l'autre, la taille de chacun, leurs nuances de couleur, leurs mouvements au vent, la composition générale du paysage qu'ils forment, rien n'est dû au hasard. Ils ont été placés là par une main forcément divine. Ils condensent, ils synthétisent, ils transcendent, ils SONT la Toscane.

Dix-sept cyprès, pénitents éternels, gardiens de la frontière entre le beau et le sublime.

Un bonheur n'arrivant jamais seul, mes dix-sept cyprès ne sont qu'à quatorze kilomètres de San Gimignano. Les habitants y ont construit des tours pour se prévenir des envahisseurs. Au XIV° siècle il y avait soixante-dix tours à San Gimignano. Aujourd'hui il n'y en a plus que treize.

Dix-sept cyprès, treize tours.

Sur la Piazza del Pozzo il n'y a qu'un café. De sa terrasse on a la plus belle perspective sur l'imbrication des demeures qui composent la place. Le vin blanc, la Vernaccia. Deux verres et tout se ralentit. Le regard devient arrêt sur image. Décidément la Toscane rend mystique. Je pense à la phrase de Napoléon : "Dieu nous a donné l'espace, mais il a gardé le temps". Une voix de basse verdienne se détache d'un groupe d'hommes qui discutent. Je m'attends à tout moment à ce qu'ils entonnent le "Va pensiero" de Nabucco. Mais non ! ils parlent. Et c'est déjà du chant.

Et ce temps qui refuse que cet instant se fige.

Je me revois soudain, quelques années en arrière, toujours en Italie, à Vicenza, sur la Piazza dei Signori dominée par la "Basilica", Palais de Palladio, là même où Don Giovanni tue le Commandeur dans le film de Joseph Losey.

La ville accueillait le concours national des chorales a capella. La présentation des groupes était sans doute notée tant les costumes étaient travaillés. Chaque chorale interprétait son répertoire dans les salles voûtées du Palais. Un groupe chantait la bande son de "L'arrivée du train en gare de la Ciotat". On voyait les rails ! Le soir, après le concert, les chorales se sont mêlées aux milliers de gens qui avaient envahi la place dans un joyeux brouhaha. J'ai alors saisi quelques bribes d'une conversation à côté de moi : "Pourquoi n'avez-vous pas chanté la Montanara ?" Le choriste ainsi interpellé s'exécuta immédiatement. Sa chorale enchaîna sans désemparer.

Le chant monta comme une vague, repris à la volée par toute une ville. Dix mille italiens chantaient leur pays d'une seule voix.

Dix-sept cyprès, treize tours, dix-mille voix qui n'en font qu'une, une seule Italie

 

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